3 – Du Portugal à l’Espagne : pas seulement un long fleuve tranquille…

Le mercredi au matin nous quittons donc notre faux logement chez l’habitant dont l’unique avantage résidait dans le prix et la proximité avec l’aéroport de Lisbonne – un Uber à 6€ pour joindre ce dernier suffit à renforcer mon idée positive sur les chauffeurs privés.
Au décollage je me dis que quitter l’atmosphère de l’île qui persiste encore autour de nous malgré le passage à Lisbonne la veille, prendre l’avion pour rejoindre l’Espagne, cela relève presque du paradoxe car il m’a suffit de nager pour rejoindre la cote ibérique il y a quelques jours… et que cela aurait été presque annonciateur d’un voyage un peu différent. A l’origine d’ailleurs, et pour mieux lier ce voyage dans le sud de l’Europe en une seule grande étape, j’avais travaillé en début d’année sur l’idée de lier directement l’île de la Tartaruga et la région de Mértola à Alicante. Pas à la nage mais en voiture, en passant par Séville, Malaga et Grenade (et Murcia). Une certaine réalité est venue s’opposer à cette partie du voyage : louer une voiture au Portugal aurait été ne pas l’utiliser sur l’île (même si cela nous aurait donné une certaine liberté à Alcoy) et louer entre deux pays européens est beaucoup plus complexe qu’il n’y parait (cela est même impossible entre le Portugal et l’Espagne). J’étais aux Etats-Unis quand nous organisions ce voyage en début d’année et j’ai du trop penser en nord-américain où il est évident qu’au sein d’une même agence on va vous autoriser à louer entre deux états, à fortiori voisins. Bref, trop complexe et trop chère, cette idée a été oublié.
Le petit avion qui relie donc Lisbonne à Alicante amorce un atterrissage aisé dans une atmosphère qui rappelle l’aride Albuquerque, NM, mais sur un horizon différent : il y a le littoral, certes, mais en bout de piste ce dernier est caché par les montagnes d’immeubles vacances qui rongent la côte espagnole depuis des années.
La particularité de cette visite en Espagne, c’est qu’elle mêle moments personnels et moments de découvertes. Beaucoup de choses s’y entrecroisent. Entre mon retour des Etats-Unis fin mars et ce voyage dans le sud de l’Europe, le rythme en France était marqué par mon permis moto et mon grand-père qui quittait doucement ce monde. Ma cousine et moi étions alors en discussions depuis plusieurs mois pour venir la rejoindre elle et son ami dans les montagnes environnante d’Alicante… et tout cela est venu se mélanger dans nos emplois du temps et nos émotions. Notre grand-père est décédé à peine dix jours avant le départ sur l’île et à notre arrivée à Alicante Julie et son ami venaient à peine de rentrer de France. C’est donc un mix dispersé qui cherche dans un premier temps à éclaircir la curiosité qui entoure les projets de ma cousine, dans un deuxième à me confirmer qu’une partie du sud de l’Europe ne me plait que pour ses paysages car ses villes développées et machines à touristes m’exaspèrent. Bref l’envie d’encore gouter un peu à une partie de cette Europe du sud que j’ai plusieurs fois visité depuis ma jeunesse, même si les grandes villes furent plus nombreuses que leurs alentours. Rassembler les notes de cette semaine et en tirer quelque chose de conséquent pour le lecteur n’est pas un travail aisé tant cette portion du voyage n’a pas été facile à gérer. Pas facile ne veut pas dire désagréable, je dirai juste que quand la balance sentimentale des hôtes n’est pas au rendez-vous il est difficile d’y voir parfaitement clair. Ni d’être juste et objectif. Discrètes et à la recherche d’un pied sur lequel danser, les énergies personnelles et celles des couples ne sont pas toujours dans les mêmes rythmiques au même moment, et peuvent différer d’un lieu à l’autre.
Pour l’heure, nous sommes à bon (aéro)port et tout va bien… la mauvaise semaine de Léa a même semblé débuter avant de prendre l’avion et s’est semble-t-il confirmé à l’atterrissage de ce dernier. Cela semble un point anodin mais il faut pourtant l’évoquer rapidement ici : c’est un mal pour un bien car elle a longtemps pensé que cela débuterait sur l’île, ce qui aurait même pu remettre en cause la sortie à la cascade. Mais rien ne semblant poindre le bout de son nez, une petite frayeur planait sur la fin du séjour… Tânia en rigolait même. Une grossesse n’est pas vraiment optimale pour notre année de voyages… et n’est donc pas à l’ordre du jour. Biens arrivés et soulagés mais pour rejoindre Alcoy il faut donc s’éloigner d’Alicante, car la ville est plus loin dans les montagnes. Nous avions espéré un chauffeur privé pour relier l’aéroport à la zone commerciale qui servait de point de rencontre à notre rendez-vous, c’est raté. D’autant que la navette vient de partir et qu’il est compliqué de faire attendre notre rendez-vous. Je vais tout de suite digresser sur un sujet qui fait platement débat dans diverses régions du monde : par chauffeur privé j’entends évidement Uber pour ne pas les citer, et à 25€ les quinze minutes d’un taxi “traditionnel” et désagréable c’est fâcheux de voir que Uber ou un quelconque autre concurrent n’est pas encore arrivé à Alicante. Cela fait très hautin des grandes villes mais j’ai utilisé des chauffeurs privés dans des villes plus petites qu’Alicante et cela a justement l’avantage de concurrencer le monopole des taxis et de permettre des petits jobs à des personnes dans une situation parfois délicate. Par exemple à Mértola il n’était évidement pas question d’avoir un chauffeur privé mais la course de plus de trente minutes nous a couté à peine 20€. Je traiterai plus longuement du sujet dans un écrit annexe car cela n’a pas lieu d’être ici.
Nous voici donc éjectés sur la zone commerciale où notre co-voiturage n’est pas encore arrivé, j’ai donc le temps de me demander comment les espagnols prononcent Décathlon, car il y en a un devant nous, où d’être étonné de trouver un Dia gardé par un policier en uniforme, un vrai flic, menottes à la ceinture. L’état policier espagnol vous salue. Définitivement pas l’endroit le plus sexy pour attendre mais c’est le passage obligé pour accéder à Alcoy. Pendant la préparation du voyage Julie m’avait prévenu que le co-voiturage était très utilisé en Espagne et il était en effet peu onéreux et pas très difficile de trouver un trajet entre les deux villes. Moi qui suis habitué à l’utiliser entre Paris et les Pays-Bas, ou en France, c’est plaisant de l’utiliser ici. La russe qui nous conduit est très efficace mais passera le trajet avec son kit mains-libres, ce qui me permet de remettre la tête dans mes carnets et de regarder un peu le paysage qui défile. Au premier coup d’oeil il est sûr que les montagnes sèches et rocailleuses nous rappellent à Léa et moi le même constat : on se croirait un peu au Nouveau-Mexique. Désolé pour la base, mais mes voyages en Espagne se limitent aux gros axes : Iles Canaries, Madrid, Barcelone et Ibiza, je découvre donc l’Andalousie après avoir passé un certain temps au Nouveau-Mexique et c’est le cas aussi pour Léa.
A notre arrivé Julie est sortie pour faire des courses et nous pouvons donc en l’attendant observer le grand immeuble froid dans une rue tranquille où nous allons résider. A peine la place pour une voiture, la moitié des étages alentours semblent désertés. Haut contraste d’environnement que de se trouver à nouveau dans un milieu urbain, entouré de murs et de toits, quand on vient de passer une semaine à l’air libre de l’île. Une fois installés, Rafaël, l’ami de ma cousine, sort avec des amis et nous mangeons donc avec Julie. Elle a préparé un très bon tadsiki que nous dégustons sur leur balcon qui donne sur un décor typique des arrières cours étroites et sales où toute la vie des voisins s’étale en visuel et en sonore. Bien qu’un peu fatigués nos discussions sur notre grand-père se prolongent jusqu’à ne plus que se deviner dans la pénombre de la terrasse, une nuit de repos à l’horizon…
Le lendemain matin c’est donc l’heure de notre première approche de la ville : réveillés en premier nous ne voulons pas faire de bruit et déranger nos hôtes, nous nous lançons donc dans une marche calme jusqu’à la coopérative que Julie nous a indiqué, puis revenons par un chemin différent qui nous permet de boucler le tour de la ville en une petite heure. Avec le pont de Sant Jordi à l’aller et le tout nouveau pont Francisco Aura Boronat au retour, nous avons donc déjà fait le tour de la ville aux ponts comme elle est parfois surnommée. Sur la Plaça de Espagna, en bas de là où logent Julie et Rafaël, nous nous installons dans un café où des souvenirs un peu stéréotypés du sud me reviennent comme des faits pourtant bien présents : distributeur de cigarettes dans les cafés, café un peu cher et très court et toilettes sales. Chercher du lait autre qu’un lait animal ou un café plus allongé que le petit doigt est impossible. No comment, chez les autres on fait avec ce qu’il y a. Parlons concret, car assez vite je sens que je ne suis pas venu pour visiter la ville mais ses alentours comme par exemple le parc naturel de la Serra de Mariola.
Nous revenons à l’appartement par la Place de Dins au sol trapézoïdale entouré d’arches, mais presque entièrement prise d’assaut par des bars et restaurants, ce qui la dénature grandement. Après une rapide préparation, départ pour la maison du père de Rafael. Située dans la zone de Benimarfull, au nord-est d’Alcoy, Rafaël nous présente un terrain sec et malmené, qu’il va être difficile de travailler dans l’immédiat, ce qu’il voulait pourtant que nous fassions à la base, mais sans les outils adéquates. Au dessus sur la colline supérieure plane des ennuis à cause de propriétaires américains négligents : une grande demeure abandonnée qui au premier glissement de terrain finira dans le champ de Rafaël. Alors qu’il se lance dans une discussion avec des voisins allemands, qui eux ont déjà eu une partie de leur terrain glissé dans celui de Rafaël, nous revenons vers la maison et effectuons un premier rattrapage avec Julie qui nous parle du mouvement citoyen (et écologiste) Alternatiba auquel elle a longtemps participé, et de son travail à la Coop21, puis de son séjour en Inde.
Là-aussi il y a un double réceptacle sur lequel je ne vais pas m’étaler ici. Comme avec les allemands sur l’île, concernant Alternatiba et la Coop21, je suis tout à fait au courant des idées et missions de ces deux derniers et de ce qu’ils impliquent car pour diverses raisons il était difficile de passer à coté dans l’hexagone ces dernières années, alors pour sa part Léa découvre. Le résultat est le même et nos pensées s’accordent : dans le fond nous ne pouvons qu’écouter avec attention et intérêt le discours de Julie, même si dans la forme ce n’est pas dans nos manières de procéder. Dans un registre plus général elle nous explique aussi que les chantiers qu’ils voulaient débuter ici ne sont pas faciles quand ils ne sont pas en plus englués dans les méandres administratifs et les incompétences de certaines autorités. Cela touche autant leur appartement que les travaux engagés dans le champ du père de Rafaël.
Ce dernier a fini sa discussion avec les voisins, direction une agréable crique à quelques kilomètres de là. Située en contre-bas de la route elle offre un peu de calme et de l’eau claire avec quelques poissons et serpents d’eau. La barrière de la langue fait autant défaut à Rafael qui parle encore peu français qu’à nous dont l’espagnol est très rouillé pour ma part, inexistant pour Léa. D’autres discussions s’engagent alors avec Julie uniquement, pour qu’elle connaisse mieux Léa et vise-versa. Rafaël écoute et attrape des mots au vol. Salade de pâtes, haricots et quelques cerises que nous avons cueillis tous ensemble dans le jardin du père de Rafaël avant de partir. Quelques allemands de passage et de sympathiques anglais viennent se baigner. Puis un insoupçonnable et insupportable couple vient troubler l’atmosphère pour une séance photos avec photographes professionnels et… un drone bruyant. On s’écarte vers un autre spot que Rafael connait, on s’enfonce dans les terres entre les arbustes, nous grimpons quelques pistes et nous passons devant les restes d’un moulin en pierre (ne restent que les murs), on s’enfonce encore au son des pinsons. Un arrêt. « La plus belle vue de ma région » nous lâche Rafaël. Il respire. Et là pas besoin de mots pour approuver que le passage encaissé entre deux reliefs qu’il nous offre est magnifique, silencieux et tout aussi imposant qu’apaisant.
Voilà en partie l’insoupçonnable Espagne que je cherche. Un sentiment se dégage, est-ce à rapprocher de ce que l’on verra dans les campagnes françaises cet été ? Dès que l’on quitte les petits mondes urbains qui tentent de devenir grands, il nous suffit de quelques kilomètres pour oublier et être dépaysé par la nature que l’on cherche.
Sur le chemin du retour Rafaël fait un arrêt en quasi urgence car un chaton est perdu au milieu de la route. Nous le sauvons, le couple passera la nuit avec lui même si il semble déjà bien terrorisé après probablement plusieurs mauvaises nuits dans les champs alentours. Ils hésitent, ne savent pas trop quoi en faire, nous pensons déjà que ce sauvetage est voué à l’échec. Nous cuisinons en improvisant avec ce qu’ils ont : un mix de légumes avec polenta mais il n’est pas facile de s’aligner sur les heures tardives du sud, nous aimons manger tôt pour digérer avec de dormir. Je repense à ce que nous découvrons doucement et compatis (au possible) avec Léa dont la mauvaise semaine semble débuter au pire moment, elle qui penserait que ça serait sur l’île…

Une insoupçonnable région… mais qui cache aussi ses inévitables déceptions et rencontres imprévisibles. Le lendemain une sortie malgré nous nous pousse vers Alicante. En effet Julie a rendez-vous au tribunal pour avoir conduit quelques mois plus tôt un scooter 50cc sans permis dans les montagnes d’Alcoy… inutile de dire que dépenser du temps, de l’argent, des ressources humaines, dans ce genre de choses est d’une futilité… mais l’état policier semble trouver ça nécessaire. D’autant que ce rendez-vous ne lui servira qu’à en avoir un autre plus tard pour sceller son cas… De notre coté cela nous permet de voir un peu Alicante et de ne pas avoir d’en visiter plus que ce que nous voyons depuis la voiture et les quelques minutes à pieds. Le port, des grattes-ciel, un château, tout ça sur un même plan, le décor est étrange. S’en suivra la recherche difficile de la SPA dans une zone industrielle, Rafaël n’a pas vraiment besoin de traduire pour comprendre que le chat ne survivra pas dans ces conditions… nous le laissons là-bas. Nous quittons Alicante avec laquelle j’oublierai d’être plus sévère et où j’éviterai probablement de repasser tout court.
Julie nous laisse choisir entre la vallée et la mer, nous prenons la vallée et partons donc à la rencontre d’un certains P., dont Julie nous avais déjà parlé car ils ont travaillé ensemble sur un ancien projet lié à la plante verte qui rapporte de l’or… Direction les environs d’Aigües, municipalité inexistante de 1000 habitants dispersés dans les collines. Un homme, P., qui fait déshonneur à la plante. Dur d’en dire plus, soyons très honnête, je ne cautionne pas et ne crois absolument pas en ce que je vois et pourtant j’en ai vu des rayons concernant la plante dont nous parlons. De l’attitude générale de beau parleur à l’atmosphère de l’endroit où nous resterons une bonne heure, rien ne cadre. Julie semble juste poliment se tenir au courant des projets d’un ancien associé… qui tourne mal. Quand de la mafia russe s’implique dans la commercialisation de quelque chose d’illégale sur le sol espagnol, ça fait des bons films pour certains, rarement de belles histoires. Quatre portables dont deux cassés, de l’argent de Russie qui transite par Amsterdam… deux plantations ridicules, résultat d’un gentil mec paumé, on dirait un mauvais élève qui sort ce qu’il a lu il y a cinq minutes dans un mauvais article pour impressionner l’assistance.
Nous quittons donc cette lourde atmosphère que je trouve futile en espérant que Julie trouve une base plus intéressante sur laquelle s’appuyer. Léa et Rafaël sont tout aussi distant avec le personnage et même si j’ai fais l’effort de m’intéresser, trop de balivernes pour ma part aussi. Je suis venu, j’ai vu et j’ai compris qu’ici il n’y avait aucune information à tirer. J’ai presque mal pour la terre et la plante.
Cette lourdeur quittée, nous partons plus au nord, vers Sella, où Julie promet un petit coin de paradis au calme pour manger. Comme au Portugal, depuis la voiture je vois beaucoup de zones en constructions où les chantiers semblent à l’arrêt, où des zones totalement abandonnées s’enchainent. Cependant les toutes petites rues de certains villages que nous traversons ont le charme que l’abandon provoque parfois. Parmi elles cette maison à moitié détruite où un jardin est parsemé de Néflier du Japon qui n’attendent que nos mains pour cueillir leurs fruits. Provisions faites, il est enfin temps de rejoindre la crique paisible pour profiter du repas composé d’une quiche et de quelques haricots : simple mais efficace. En effet l’endroit est charmant, mais la bonne entente ne dure pas et Julie et Rafaël se font visiblement la gueule… nous mangeons enfin mais Rafael veut partir et nous quittons l’endroit en étant resté à peine une heure. La voiture est à lui et a donc son mot a dire. La communication est à son néant et nous nous sentons dans une situation difficilement extirpable.
Sur le chemin retour ils décident cependant de faire un arrêt près de leur ancienne Finca, dans les montagnes près de Penàguila. Après un bon quart d’heure de marche nous découvrons un grand terrain caché dans les collines. Il y a quelque chose de magnifique dans la forme du projet et de l’espace qu’ils avaient à leur disposition, mais là-aussi de complexe à appréhender quand on a pas été quotidiennement dessus. Au moins nous sommes sur place et il est plus facile de visualiser leurs designs respectifs de permacultures, que nous avons pu voir dans la porte du cellier de l’appartement. Ces derniers sont intéressants et les idées là aussi ne manquent pas. Là encore le problème est le fond, car visiblement le projet n’a pas tenu financièrement et hiérarchiquement. Du coup après quelques mois dans cet endroit le projet est au final tombé à l’eau et laissé à l’abandon depuis un an. Cerise sur la gâteau, nous apprenons que c’est ce fameux P. qui est propriétaire du terrain. Quand l’année dernière nous avions commencé à parler de venir observer ce que Julie faisait c’était justement pour venir aider à la Finca et c’est ce que j’aurai voulu pouvoir faire. Venir et faire et non venir et constater. Mauvais timing. Le retour par d’autres montagnes est très beau, même si nous croisons à nouveau des collines sculptées par l’industrie, schéma qui semble se répéter d’Alicante à Alcoy. A la fin de cette journée nous aurons parcouru près d’une centaine de kilomètres entre Alicante et Alcoy. Pour sûr nos hôtes connaissent les coins les plus insoupçonnables et c’est ce que j’ai réussi à apprécier dans la forme sur ce voyage, là où dans le fond cela m’a confirmé que nous ne sommes pas dans une atmosphère dans laquelle un jour j’aimerai faire quelque chose.
En arrivant vers Alcoy j’observe les lignes électriques qui viennent casser la ville et sa topographie accidentée. La ville aux rivières est son autre surnom, même si elles sont asséchées pour la plupart, et il a fallu bâtir avec, notamment avec son passé industriel. Sur la route toute neuve qui doit composer avec ce terrain, un panneau de signalisation m’attrape l’oeil, un rappel à l’ordre : nous arrivons à Alcoi. Alcoy ? J’ai beaucoup de mal à saisir pourquoi depuis environ trente ans il y a une différence pour une lettre, car c’est de cela qu’il sagit : Alcoi ou Alcoy. Je ne vais pas faire un cour d’histoire ici ni essayer de résoudre un conflit, je sais pourquoi il y a une différence, j’ai juste du mal à me mettre à la place de personnes dont la vie va être malmenée par ce sujet, surtout quand il peut parfois causer de graves problèmes en société. Je me dis assez bêtement que le « miaou » que nous avons quitté au matin n’avait pas tout ses problèmes malgré des différentes façons de miauler. Parfois on aimerait que les choses restent simples, un peu animales. Je suis frappé de me retrouver face à ce double langage qui s’affiche en fait partout dans la région. Je suis mal à l’aise, un peu incrédule. Je tâche de ne garder en tête qu’une unique Espagne malgré la complexité de notre histoire Européenne qui vient aussi parfois percuter nos moments présents, déboussolés par des couches de coutumes et traditions. C’est dans ces moments là que, qu’on le veuille ou non, je vois des différences entre les ambiances latines et les atmosphères nordiques. Ce n’est pas de la projection, c’est juste du vécu et des observations, les choses ne se passent pas de la même façon et à un moment il faut choisir ce qui nous correspond le plus. J’aurai beaucoup de mal à vivre dans un pays qui passe son temps en rivalité et en manque flagrant de consensus, ce qui est aussi le cas de notre hexagone sur certains sujets.
Pour souffler un peu nous partons faire des courses juste tout les deux, obligés de composer avec ce que l’on trouve dans un Carrefour Market, nous regrettons presque la coopérative peu étoffée du premier jour mais cette dernière est fermée. La flexibilité de Léa n’est pas au rendez-vous, sa semaine n’est pas facile, je suis le roseau et elle est proche du chêne mais qu’importe, de toute expérience nous essayons de tirer des bénéfices. Je l’accompagne et la comprend mais je ne romps pas car j’ai vu bien pire. Léa est à son point de rupture, Julie et Rafaël semblent eux aussi être à un certain climax néfaste, suis-je toujours le dernier à ne pas m’approcher de la falaise ? Se diriger vers notre chambre après notre salade est notre meilleur moyen de passer à la journée suivante…
La journée était longue et nous nous sentons un peu coincés dans un emploi du temps que nos hôtes ne semblent eux-mêmes pas toujours maîtriser. Je profite du voyage pour continuer Phinéas Phinn d’Anthony Trollope, tombe sur un extrait qui me fait doucement sourire… le clin d’oeil est facile, mais depuis quelques temps je cherchais un texte anglais avec ce doux mot écrit…
“‘And you mean to say that you’ll take him into the lobby,’ said Lady Laura
‘Undoubtedly,’ said Barrington Erle.”
Sans aucun doute je n’irai pas au bout de ce roman qui semble à bien des égards passionnant, mais trop compliqué à lire de nos jours, à fortiori en voyage.
Sans aucun doute je retournerai sur les terres andalouses pour un deuxième regard, mais plus tard et autrement, un voyage où j’ai la main sur mes actions.
Au réveil du vendredi matin il n’y a toujours pas de programme mais nous émergeons à 8h et prenons un rapide petit-déjeuner au milieu de la pièce directement sur le tapis. Quand nous étions petits une vielle coutume nous interdisait de mettre les coudes sur la table… Problème résolu car avec Julie et Rafaël nous ne mangeons jamais sur une table. Est-ce une influence du séjour de Julie en Inde ? Dans le fond je suis d’accord, une table n’est pas toujours nécéssaire.
Léa voudrait rester au calme car la journée de la veille fût assez éprouvante et Julie est au point mort avec Rafaël. Il part pour aller chez son père et son frère, nous propose gentiment de l’accompagner mais on lui dit peut être plus tard. Julie fait du yoga puis nous propose de marcher. Léa ne se sent pas et aimerait aussi prendre du temps calme à l’appartement. De mon coté je sens, dans le fond, une opportunité pour découvrir la région alentour, même si dans la forme je sens aussi que Julie ne veut pas juste faire une ballade calme. Alors que nous descendons de l’appartement Julie me précise qu’elle veut faire une marche active ce qui révèle bien son état d’esprit à ce moment là : elle a besoin de lâcher certaines choses et je ne lui en veut pas, cependant au final nous ne faisons quasiment que transpercer la ballade…
Nous partons donc de 11h à 15h30 en passant par quelques raccourcis dans la ville pour se plonger ensuite dans le parc naturel de la Serra de Mariola. Je n’ai pas eu le temps de prendre mon appareil photo et les montagnes plongées dans un brouillard épais ainsi que le rythme de Julie ne me le font pas regretter.
Là aussi je vais passer rapidement sur cette première découverte de la marche que Julie me propose car nous allons très vite pour qu’elle puisse extérioriser ses énergies et que de plus nous parlons pendant toute la traversé. Une fois monté jusqu’à la croix qui domine la ville, nous passons par une falaise qui longe la gorge en contre-bas. Une brève pause puis la descente à travers la forêt et la marche dans le lit de la rivière asséchée qui nous ramène à la ville. Parmi nos nombreux sujets abordés lors de cette ballade, dont les balances et énergies dans la relation à deux, Julie me demande si Léa et moi faisons toujours les choses à deux, sous entendent que nos individualités semblent s’oublier. Sans hésiter je lui réponds que oui, cette année est la notre et celle du nous avant tout, et que même si tout ne sera pas toujours aussi simple lors de nos voyages car nous allons mettre de coté beaucoup de choses que nous faisions seuls, il faudra s’y plier quelques temps.
Au retour Julie me confirme ce que j’avais cru remarquer du haut du pont quelques jours auparavant : la rivière est inexistante, l’absence d’eau est évidente. De mon coté je me confirme à chaque photographie de l’urbain en périphérie de la ville que la cité a dû souffrir de l’après crise industrielle. Alors que nous passons sous le pont de Sant Jordi je commence à comprendre à quoi me fait penser cette ville où il est facile de passer à des espaces dépotoirs en quasi terrain vague. Entouré par une vallée riche d’au moins sept chaines de montagnes alentours dont la Serra de Mariola et le Carrascal de la Font Roja, le bilan est qu’en effet Alcoy est une ville un peu perchée (500 mètres d’altitude) qui ressemble à une cuvette et que ces deux éléments me font aussi penser à Grenoble (le ski et les étudiants en moins). Une ville un peu grise, dont aucun des aspects ne semblent retenir l’individu qui préférera grimper dans les hauteurs plus intrigantes de la nature avoisinante que dans un urbain mou et vieilli qui n’offre rien de très intéressant. Pour les mêmes raisons je me souviendrai avant tout du tremplin que c’est pour accéder rapidement à autre chose, une certaine liberté de la nature, un appel de cette dernière. Même si un jour je ne m’interdis pas de pousser un peu l’épisode historique de la Revolució del Petroli (ou quand un épisode de grève ouvrière se transforma en déclaration d’indépendance éphémère) ou le Château de Barchell (là aussi sur un fond d’époque almohade et d’ancien royaume musulman comme à Mértola, le château datant aussi du XIIIème siécle).
De retour à l’appartement et après une discussion entre nos deux hôtes, Julie part pour un stage dans une autre région, un rideau se baisse car l’un des deux éléments d’une ambiance pesante s’envole. Non pas que l’un ou l’autre ait tord ou raison, ce n’est pas à nous d’en juger. Mais souffler est peut-être le meilleur moyen, le temps d’un week-end, de retomber sur leurs pattes. C’est d’ailleurs la dernière fois du voyage que nous les verrons ensemble. Je retrouve Léa avec le sourire car elle a pu souffler et prendre du temps pour elle aujourdhui. Une rapide improvisation de pattes au quinoa avec poivrons et fromage au romarin et nous allons dormir… Rafaël est parti en même temps que Julie, on ne sait pas trop où mais ce n’est pas grave…
Julie me l’a bien montré la veille, quelques raccourcis à pieds suffisent à se donner de l’air, pas encore assez cependant pour tenter seul et se perdre dans les montagnes alentours. Je décide donc d’inverser les rôles et de me transformer en guide pour Léa et de lui proposer la même marche, au moins jusqu’à la falaise si nous atteignons la croix facilement. Nous faisons sensiblement le même chemin qui mène à la croix et la pensant motivée je propose de pousser jusqu’à la falaise, qui nous permettra notamment de voir un aigle royal, quelques papillons et un lézard. Cependant lors de la descente il est probable qu’un peu distrait par les nombreux pins qui composent la forêt je rate un virage et nous fasse prendre un très long détour. Mon portable n’a plus de batterie, nous n’avons plus d’eau et le chemin que je repère est parsemé de ronces et de passages complexes. Voyant au loin le ravin escarpé qui reprend parmi les arbres nous finissons avec plus de peur que de mal et une bonne marche de quasiment six heures, pouvant même profiter de la source naturelle que m’avait montré Julie la veille pour remplir notre bouteille d’eau. Léa est forte, patiente et résistante. La ballade est magnifique sur bien des points et même sans être transcendante elle a au final bien remplie la journée. Au retour à l’appartement je sens Léa lessivée mais je suis content que nous ayons pu profiter de cette ballade. Rafael est parti faire un temazcal, il sera donc probablement de retour le lendemain et nous allons en profiter pour passer une soirée plus légère que ces derniers jours. Après une bonne douche direction la pizzeria du coin de la rue, j’ai flairé un truc cool et visiblement j’ai raison car nous sommes comblés : ambiance simple et nous sommes les premiers donc seuls, une végétarienne et une cinq fromages, une pâte fine et croustillante, un verre de vin, deux desserts, moins de trente euros, le bonheur. De retour à l’appartement Léa danse au milieu de la pièce, visiblement en besoin d’extérioriser aussi. Nous prenons un peu de temps ensuite pour trier les photos et vidéos de ces derniers jours. J’observe l’appartement vieilli si il a déjà vraiment eu une jeunesse et marque un court temps de « sujets non abordés » avec nos hôtes. Trainent sur la table « Eléments de biogéographie et d’écologie » aux éditions PUF, L’enchanteur de Barjavel, le stickers d’EuroVille Mumbai sur l’ordinateur de Julie. Autant de sujets que nous n’avons pas eu le temps d’approfondir. Même avec une soirée très légère, entre le restaurant et la fin d’un match de football que toute l’Espagne semblait attendre, je suis satisfait de m’endormir en pensant que j’ai pu montrer ce que je pensais honnêtement valoir le coup d’être vu et parcouru.
Même si cela n’a pas été de tout repos pour Léa, je me dis qu’elle n’aura pas vécu cette deuxième partie de voyage si complexe tout en loupant la partie la plus intéressante malgré tout.
Notre dernier jour complet se résume à avancer sur notre année et à souffler à l’appartement car nous ne sommes que tout les deux. Ecriture et organisation. Le ciel est bleu et ensoleillé, je vais au café et on y retourne prendre du pain, on parle un peu avec Rafael, du Portugal car il est curieux et intéressé, et on avance des emails, programme de la semaine, je finalise l’achat de mon nouvel appareil photo qui servira aux voyages suivants, à partir des Pays-Bas, c’est à dire dans quelques jours… nous n’aurons que deux jours en France entre notre retour de ce voyage et le départ dans le nord.
Le soir nous regardons sur l’ordinateur de Julie sa copie de Irrintzina, le cri de la génération climat réalisé par Sandra Blondel et Pascal Hennequin. J’avoue l’avoir loupé à une présentation du film dans le Val de Marne l’hiver dernier et être satisfait de pouvoir me rattraper. Je parle du film dans des notes annexes et ne vais pas trop m’étaler ici.
Notre dernière journée in situ se résume au café découvert avant de partir à la marche la veille, qui lui nous montre bien que des alternatives sont possibles, même deux rues plus loin que le café croisé le premier jour : toilettes propres, prix ok, différents types de laits, viennoiseries et pains fait sur place, nous ne demandions pas plus d’autant que le gérant est un jeune dynamique qui parle anglais. Rafaël passe nous dire au revoir, il connait le gérant avec qui il était ay lycée, nous avons quelques échanges intéressants sur des régions à visiter (entre Rennes-Le-Château et Bugarach). Quelques minutes après Julie rentre de son stage à temps pour nous saluer aussi. Nous la remercions grandement, car évidement elle nous a ouvert diverses portes, au sens propre comme figuré.
Merci beaucoup à elle.
Alors que nous attendons sur la petite Plaza de España je constate, comme souvent inconsciemment, qu’une bonne partie des alentours ne voit que de façon flouté toute cette énergie naturelle qui n’est pas loin, toute celle que nous avons capté ces deux dernières semaines, que cela soit au Portugal ou en Espagne. Au final je pense juste à un mauvais timing, Julie et Rafael n’étaient pas aptes à recevoir correctement pour eux, car nous avons été très bien reçu, mais à eux cela ne pouvait faire que du bien. Je préfère retenir les découvertes des terrains alentours.
Le parcours retour vers l’hexagone a du mal à être simple, d’un co-voiturage en retard à une navette Alicante-Aéoroport encore trop aléatoire pour l’attendre, un avion retardé, cloué au sol pour causes d’orages sur la France, un passager asiatique qui se fait la peau des pieds à coté de Léa, des françaises insupportables, un atterrissage prévu pour Orly qui arrivera à Roissy…… « Far from the madding crow » Léa is reading in the plane… j’essaye de faire un point au milieu des éclairs… mes pensées ne sont au finales pas affectées par tous ces non-évènements qui nous effleurent…

C’est donc la fin de notre premier voyage de transition ensemble, ce duo du sud. Je ne peux m’empêcher de penser à ce que nous allons quitter, à ce que nous allons trouver dans l’année qui vient… Car le global de 2018 c’est cela, et chaque expérience à l’extérieure va nous y faire penser. Nous vaincrons toutes les embuches, je me sens déjà rarement faible seul, je le serai encore moins avec elle.
Un voyage, deux destinations aux ambiances très différentes. Une direction, le sud, qui ne semble pas nous retenir, mais qui nous offre beaucoup d’alternatives prometteuses pour des visites éphémères… Brute mais réaliste analyse. Malgré plusieurs voyages en Italie, Espagne et Portugal je ne suis jamais tombé amoureux du sud de l’Europe mais je respecte les gens qui le sont et je veux profiter de leurs connaissances. Julie et Rafael nous ont montré qu’ils s’investissaient au moins individuellement dans la diffusion qu’ils font de leurs connaissances, nous gardons cela en tête et pensons même avoir peut-être un jour besoin d’eux pour de l’aide dans nos projets, ce qui n’est pas rien.
Ma cousine et son aventure ne font que commencer, beaucoup de choses prometteuses sur le fond, encore floues dans la forme, j’ai hâte de suivre si leurs aventures ibériques se poursuivent ou si des projets les enivreront dans notre hexagone… Une telle passion dans certaines actions ne peut mener qu’à des éclosions d’aventures en projets concrets, c’est tout ce que je leur souhaite.
Après tout, où en sommes nous de notre coté ? Au commencement, la métaphore a de quoi faire sourire car je m’étais rasé entièrement pour la première fois depuis plusieurs années le matin même de notre départ au Portugal. Imberbe est notre route ensemble mais nos projets sont aussi nombreux que nos envies. Il va falloir prendre notre temps, observer et agir. Nos projets ne passeront pas que par des moments simples et faciles et c’est le cas de tout le monde, la vie n’est pas un long fleuve tranquille et bien heureusement les diverses expériences mènent toujours à des acquis qui bonifient nos itinéraires, nos histoires.
Je le sens déjà, des envies sont partagées dans l’avion pour détourner Léa de son voisin, celui qui penserait obscène de chier dans un trou en terre tout en trouvant normal de se dépecer le pied dans un lieu public exigu : dans le futur je veux donner une (dernière ?) chance à notre rendez-vous manqué avec les routes Andalouses, rejoindre l’Espagne en nageant puis relier Séville à Valence en passant par Malaga, Murcia, Grenade et d’autres. Bref, voir les différents tableaux d’une Andalousie dont j’entends tant parler. Mais plus tard, j’ai le temps.
Ne garder que les moments incroyables du Portugal semblerait trop facile, mais quand même, c’est tentant. Théo et Tania dans un moment transitoire tellement fort, tellement beau, tellement simple. Rafraîchissante fût cette semaine passée à leurs cotés, et ô combien constructive. Les énergies cumulées de Théo et de l’île, de David et Tania nous ont fait du bien. Les retrouver était indispensable, leur présenter quelqu’un d’incroyable aussi. Les quelques mètres carrés que cultivent Théo et Tania sont un épicentre inestimable dans la balance d’un être humain. C’est prendre soin de la terre, c’est le premier de nos soucis. C’est faire pour soi et c’est ce que nous voulons commencer.
But for now I truly know it : what I want the most is your curved belly to feel the energies of the island when we’ll be settled in the north of the continent… I definetely love what Théo and Tania did there and it could be a way of living somehow, some day, somewhere. We’ll need the energies, we’ll need to find our island too.
Nils